• Sur la question des "Indigènes du Nord"

    Quel pourrait être, dans la nouvelle Europe démocratique des peuples, fédérative et anticapitaliste que nous voulons, le statut de ces populations prolétaires que l'on appelle communément "issues de l'immigration" (en réalité une très grande partie de la population européenne notamment urbaine est issue de mouvements migratoires, mais on entend "discrètement" par là : immigration EXTRA-EUROPÉENNE) ; "non-blancs" (terme générique de l'antiracisme politique), "Indigènes du Nord" (terme du PIR) ou encore "quartiers sous gestion coloniale" (notion développée il y a une vingtaine d'années par le MIB) ?

    La "tradition" marxiste-léniniste (La Question Nationale de Staline généralement citée, nombreux écrits de Lénine etc.) est classiquement connue pour être plutôt rétive à la reconnaissance de droits nationaux-culturels à des populations dispersées en petits îlots de peuplement à l'échelle d'un pays entier, ou carrément mêlées à la population majoritaire, et non établies sur un territoire national précis bien défini.

    Pour autant, par le passé récent, des organisations d'inspiration marxiste-léniniste, maoïste etc. ont déjà pu être amenées à poser sérieusement la question ; notamment chez les minorités racialement opprimées aux États-Unis (Black Panthers et leurs précurseurs Robert F. Williams et Harry Haywood, Young Lords portoricains, etc.).

    Et de fait, tant dans les textes que dans la pratique qui fut celle (un certain temps du moins) de l'Union soviétique, des pistes de réflexion peuvent apparaître.

    Ainsi, dans les "Notes critiques sur la Question Nationale" de Lénine (réponse au programme socialiste autrichien de Brünn, 1913), au milieu d'un propos général globalement hostile à l'"autonomie culturelle" des populations "dispersées", on peut néanmoins trouver formulée cette proposition :

    « Sans aucun doute, enfin, il importe au plus haut point, pour supprimer toute oppression nationale, de créer des districts autonomes, même de très petites dimensions, à composition nationale complète et unique et autour desquels pourraient ainsi "graviter", entretenant avec eux des rapports et des associations libres de toutes sortes, les membres d’une nationalité donnée dispersée en différents points du pays ou même du globe. »

    https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1913/10/vil19131000g.htm (traduit un peu différemment dans cette source)

    C'est effectivement là une piste de réflexion fort intéressante, puisque ces "districts autonomes" "même très petits" pourraient très bien être... ce que l'on appelle communément "les quartiers", où se concentrent ghettoïsés "sous gestion coloniale" les prolétaires issus de l'immigration du Sud global ; "quartiers" érigés en COMMUNES POPULAIRES à statut particulier, autonomes, et autour desquelles "graviterait" donc l'ensemble du mouvement organisé pour les droits démocratiques de ces populations au niveau hexagonal et continental en général.

    Sachant par ailleurs que le racisme subi par les "issus de l'immigration" en Occident (et les Noirs aux États-Unis, "immigrés involontaires" par déportation esclavagiste depuis 300 ans...) est d'abord le "reflet", dans ces métropoles impérialistes, de la domination néocoloniale exercée sur les pays et continents d'origine : ainsi, ces pays et continents EUX-MÊMES LIBÉRÉS par la révolution anti-impérialiste (qui a toutes les chances d'ailleurs, disons-le, de survenir là-bas bien avant ici), et rendus à la pleine souveraineté de leurs peuples, seront de toute manière les "bases arrières" toutes trouvées pour garantir l'égalité démocratique de leurs diasporas.

    Une nationalité (quoique Vladimir Illitch ait pu lui dénier cette qualité durant sa période "jacobine", en 1903 : "l’idée d’une nation juive distincte (...) tout à fait insoutenable du point de vue scientifique et réactionnaire du point de vue politique", avant de la reconnaître explicitement 10 ans plus tard : "la nation la plus opprimée et la plus persécutée, la nation juive"...) qui dans l'Empire tsariste puis l'URSS présentait elle aussi cette caractéristique d'absence de territoire défini précis, d'éparpillement dans une multitudes de quartiers urbains ou de villages (shtetl) sur un vaste territoire de la Baltique à la Mer Noire, c'était bien entendu les Juifs de langue yiddish.

    Voyons ce qu'a signifié, pour un certain temps, l'expérience révolutionnaire soviétique pour leurs communautés :

    "L’émancipation, en faisant tomber les murs du ghetto, en donnant aux juifs le sens de la dignité, le sentiment d’égalité, a permis l’épanouissement d'une culture nationale nouvelle, jeune et vigoureuse. Des écoles, des journaux, des théâtres juifs, des coopératives artisanales et agricoles, surgissent dans toute la Russie occidentale. C’est ainsi que les écoles ayant pour langue d’enseignement le yiddish englobent, en 1930, 60 % des enfants juifs d’Ukraine et de Biélorussie. Il existe seize théâtres juifs, trois quotidiens, le tirage des publications en yiddish atteint un million cent trente-cinq mille exemplaires. Des conseils nationaux juifs se multiplient : ils sont vingt-sept en 1932 en Biélorussie, cent soixante en Ukraine. Des sections juives se forment auprès des organisations du Parti, des ministères, des institutions culturelles, etc."

    Certes, c'est un fait documenté, cette situation connaîtra un "backlash" re-centralisateur et assimilationniste à partir de l'époque des Grandes Purges (seconde moitié des années 30), qui comme l'explique bien Grover Furr (Furr-Staline-Khrouchtchev.pdf - Staline et la lutte pour la réforme démocratique.pdf) marquent le début de la contre-révolution "rampante" de la nouvelle bourgeoisie bureaucratique qui triomphera après le XXe Congrès (1956).

    Pour autant, dans la fidélité idéologique au grand Lénine (surtout ses positions de juste avant la Révolution, et bien sûr sa PRATIQUE durant celle-ci), cette lumineuse expérience du Yiddishland des années 20 - début 30 peut et doit aussi nous servir d'inspiration.

    Mais le mieux serait bien sûr d'écouter les propositions des concerné-e-s eux/elles-mêmes.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :