• Politique linguistique de l'URSS

    http://ekladata.com/58gznq-NaxFWCP9wZ4aGOT_Z2V8/KHYLYA-HEMOUR_Andrea_M2R_Linguistique.pdf

    Une très intéressante étude sur la politique linguistique de l'Union soviétique ; qui doit (dans ses fondements originels en tout cas) nous servir de MODÈLE pour que l'édification du socialisme en Europe se fasse DANS LES LANGUES DES OUVRIERS ET DES PAYSANS (ainsi que parlait Marcel Cachin du breton) ; et lorsque celles-ci, sous les coups de l'uniformisation bourgeoise, sont malheureusement mal en point, les sauver d'une disparition certaine, car patrimoine social et culturel de l'humanité, elles ne valent pas moins que les baleines (patrimoine naturel) ou la toiture de Notre Dame qui a tant ému en 2019 (patrimoine architectural-artistique) face au rouleau compresseur utilitariste du Capital...

    Ainsi la politique soviétique a-t-elle certainement empêché la disparition complète de l'ukrainien (problème des langues trop proches de la langue dominante, comme l'arpitan ici), et sans doute de bon nombre de langues indigènes sibériennes.

    L'étude montre certes une inflexion vers la "russification" à partir du milieu des années 30, signe (comme à partir du second semestre 1793 pendant la Révolution française) de la prise de poids dans l'appareil des futurs "thermidoriens" khrouchtchéviens, qui prendront totalement le pouvoir dans les années 50 et poursuivront à fond cette politique.

    Néanmoins, on pourra observer avec admiration les modalités et les résultats d'une politique guidée par les principes socialistes et authentiquement démocratiques du grand Lénine :

    "La social-démocratie qui lutte pour un régime d’État démocratique conséquent réclame une égalité en droits absolue des nationalités et combat tous privilèges, quels qu'ils soient, favorisant une ou plusieurs nationalités. En particulier, la social-démocratie rejette la langue «officielle» . Celle-ci est spécialement superflue en Russie, car plus des sept dixièmes de sa population appartiennent à la famille des peuples slaves, qui, s'il existait un enseignement libre dans un État libre, parviendraient sans difficulté, en raison des exigences de la circulation économique, à se comprendre sans qu'il existe aucun privilège «officiel» en faveur de l'une des langues."

    [En France :

    "Comment les langues du peuple ont été rendues illégitimes

    En juin 1794, on ne parle exclusivement le français que dans 15 départements sur 83. Il a donc fallu une volonté politique implacable pour l’imposer dans toute la France. Mais en éradiquant quasiment l’usage des langues régionales, c’est une part du patrimoine culturel qui a été effacée.

    Faire comme si deux langues ne pouvaient pas cohabiter a constitué le fondement de la politique linguistique en France depuis la Révolution. L’Ancien Régime refusant l’accès des classes subalternes à l’instruction au motif que cela créerait des déclassés et mettrait en péril l’ordre social, l’acquisition du français – celui des élites – devint une sorte de bastille à prendre, de sésame pour avoir droit à la parole.

    La Révolution de 1789 est une révolution bourgeoise, et les républiques qui l’ont suivie le sont tout autant. Ainsi, c’est la multiplication, dans le Sud-Ouest, au printemps 1790, de révoltes paysannes dont les autorités locales affirment qu’elles n’ont pu les empêcher du fait que les émeutiers ne comprennent pas le français qui amène l’abbé Grégoire, prêtre rallié au Tiers État et devenu député de la Convention, à préparer un « Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir le “patois” et d’universaliser l’usage de la langue française » [voir aussi, dans la même veine, le discours de Barère de Vieuzac].

    Supprimer le « patois », c’est ôter un écran entre les masses et la parole normative des nouveaux maîtres. Non sans naïveté, ceux-ci se disent : quand ils parleront comme nous, ils penseront comme nous et ne bougeront que dans les limites que nous leur aurons fixées.

    Les langues autres que le français n’ont jamais été ressenties comme une menace pour l’unité territoriale de la France. Ce qui est en jeu est fondamentalement d’ordre social. Et ce n’est pas la peur mais un grand mépris qui accompagne l’illégitimation de toute pratique langagière non conforme à celle des dominants.

    Les historiens bourgeois ont assez tôt mis au point un discours sur l’histoire nationale qui réintégrait dans une continuité, depuis les temps les plus anciens, l’ensemble des faits qui se sont déroulés sur le territoire de la France, relativisant d’autant l’importance de la rupture révolutionnaire. Cela permet d’ailleurs, encore aujourd’hui, à certains de saluer l’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée par François Ier en 1539 comme fondement de la politique républicaine en matière de langue. Ce travail sur l’histoire avait une fonction politique bien précise : il devait servir de base à une réconciliation entre la France d’avant 1789 et celle d’après, sous la direction idéologique d’une bourgeoisie se présentant comme la dépositaire de la totalité de l’héritage historique et culturel français. Il permettait ainsi le ralliement de la plus grande partie des monarchistes puis des catholiques à la République.

    Cependant, pour tous ces ralliés tardifs, l’appartenance à la communauté nationale n’est pas fondée sur l’adhésion aux valeurs abstraites de liberté, égalité, fraternité mais sur le culte d’une entité présentée comme éternelle et charnelle. Elle n’est pas fondée sur le choix en conscience d’un projet d’avenir pour la société, mais sur un acte de foi impliquant de la part de quiconque est porteur d’une autre mémoire et d’une autre parole que celle de la nation, qu’elle soit provinciale ou étrangère, le sacrifice de cette mémoire et de cette parole. D’où le culte du français comme langue unique et mystique, et la nécessité du reniement de tout ce qui lui est étranger.

    Depuis le XIXe siècle, le mouvement ouvrier, quant à lui, est passé à côté d’une réflexion sur la culture intégrant la dimension de classe de la question linguistique. Pour les militants syndicalistes, socialistes, anarchistes, communistes, d’accord sur ce point à de rares exceptions près, il allait de soi que la seule politique culturelle qu’il convenait de mener au bénéfice des classes populaires était de leur ouvrir l’accès à la culture des élites sans la critiquer, sans se poser la question des valeurs véhiculées. Et sans admettre que les cultures des classes subalternes pouvaient être porteuses de valeurs progressistes. Or, se référer à la République impose de garder à l’esprit ses contradictions. L’école de Jules Ferry donne le savoir au peuple, mais un savoir partiel, sans commune mesure avec celui réservé aux enfants des classes dominantes. La République chante le progrès social, mais elle fait tirer sur les ouvriers en grève. Elle est humaniste, mais elle mène une politique coloniale agressive et nie la culture des peuples dominés.

    Le français a été au cours des siècles le véhicule des discours les plus progressistes comme des plus régressifs. Il en va de même pour toutes les autres langues. L’enjeu aujourd’hui est de faire circuler au maximum les éléments de connaissance de la diversité culturelle française, d’abord pour restituer aux cultures qui en sont partie prenante le respect dont elles ont été privées. Ensuite parce que l’éducation à l’acceptation de la diversité, dans les sociétés plurielles du siècle qui commence, doit être une priorité absolue. Les langues de France ont été, à leur façon, le laboratoire où se sont élaborées les convictions simples qui ont mené à la négation des cultures des peuples colonisés. Elles peuvent avoir leur place dans le laboratoire où se fabrique un fonctionnement culturel et idéologique de type nouveau, apte à répondre aux défis des temps qui viennent."


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